C'est
arrivé un dimanche de printemps à l'Isatis où, comme à son habitude, ce massif
était assiégé d'une horde de grimpeurs étrangers. Ce jour là nous grimpions
sur Boule de nerfs, bloc jonché de racines saillantes, nécessitant une parade
vigilante et la pose judicieuse de crash pads car le crux est en hauteur. Un
jeune anglais nous observe, nous l'invitons à essayer en notre compagnie mais
il déclina notre proposition, est-ce par timidité ?
Au
bout d'un moment, lassés par ce monde, nous fuyons vers les Hautes-Plaines,
endroit beaucoup plus paisible. Le calme y fut néanmoins de courte durée
car au bout d'une demie heure, le son d'un véhicule de pompier se fit entendre,
laissant présager un incident du côté de l’Isatis. Quelques instants après, une
seconde sirène retentit, puis une troisième, ce n'était pas bon signe. Le temps
passe, nous nous acharnons sur un bloc quand nous entendîmes au loin dans le
ciel un hélico. Au premier abord nous aurions dit un appareil de touristes,
fréquent à cette saison, mais rapidement nous faisons le rapprochement avec les
deux tons. Le bruit du rotors, de plus en plus fort, laisse enfin apparaître
une couleur jaune et rouge celle de la Sécurité Civile, "ça sent l’œuf"...
L'appareil
tournoie non loin de nous et, après quelques essais infructueux, finit par se
stabiliser. La scène est peu banale, un secouriste descend par le filin nous
laissant croire un instant que nous sommes en haute montagne, quelque part dans
le massif du Mont-Blanc avec le PGHM en visu. De grosses branches mortes,
littéralement éjectées par la puissance des pâles nous obligent à nous mettre
à l'abri ; la silice bleausarde est, quant à elle, en suspension dans les
airs. L'opération semble prendre du temps mais le blessé finit par être
hélitreuillé en compagnie du secouriste. L'appareil quitte le paysage et un
silence de plomb s'abat sur le massif, comme après une tempête. Étrangement le
sol est nu, dépourvu de la moindre aiguille de pin, comme si quelqu'un avait balayé le massif. Personne n'est indifférent
devant une telle situation, les grimpeurs sont silencieux. Les secours au sol
remballent et paraissent plutôt décontractés, comme si ce n'était qu'un
exercice d'entraînement... Non loin de la zone d'intervention, derrière un gros
bloc, un grimpeur belge surveille un énorme tas de crash, j'en profite pour
discuter avec lui :
- Monsieur est vendeur de pads ? il n'y en
avait peut-être une dizaine.
- Non mais si tu en veux un c'est le moment !
me dit-il avec humour. Avec l'hélico pourtant
assez haut, tous les pads aux
alentours volaient comme des tapis volants, du coup je les ai
empilés et
maintenus pendant l'intervention.
- Tu sais ce qui est arrivé ?
- Bien sûr ! C'est moi qui ai appelé les secours.
Un jeune anglais s'est entreprit d'essayer
Boule de nerfs seul et sans crash
pad. Il est tombé et sa cheville n'a pas apprécié les
racines, une légère entorse.
Un
jeune anglais sur ce bloc ça me dit quelque chose, moi qui le croyait timide
n'a-t-il pas été finalement orgueilleux à notre égard ? Heureusement pour
lui l'accident était bénin. Le British a dû être sacrément
impressionné par les moyens mis en œuvre, et se dire que les secours
français ne plaisantaient pas. Mais pourquoi de tels moyens ? D'un côté on
nous dit que le trou de la sécu s'agrandit, que des économies sont nécessaires, et de l'autre on envoie un
hélicoptère pour une cheville, alors que le parking à pieds est à moins de dix
minutes. Heureusement j'apprendrai plus tard que cet incident coïncidait avec la
date programmée d'un exercice d'entraînement du GRIMP 77, cheville ou pas. Dans son malheur
j'espère que notre anglais a pu au moins contempler la forêt. Si j'avais su, un peu plus tôt
dans l’après-midi, j'aurais simulé une grave blessure afin de prendre sa place, sans oublier mon
appareil photo, Bleau vu du ciel ça doit valoir le coup. ;-)
Vous
vous dîtes que cette histoire est une fiction et bien regardez par vous-même
ces quelques extraits ci-dessous en vidéo.